Vingt ans de pratique de la gestion de projet et du management, et 10 ans de découverte de l’étude du Talmud me poussent aujourd’hui à m’interroger sur la proximité de ces deux univers, sur les fondements de l’éducation et de l’apprentissage.
Étudier le Talmud , avec mes mots c’est partir d’une problématique compréhensible mais souvent déconcertante , la certitude de comprendre la question mais de se demander pourquoi il serait utile d’y répondre. La lecture d’un certain nombre de réponses à cette question par des générations érudites entières, qui se se la sont posée et y ont répondu. Des méthodes proposées permettent de remettre en question chacune des réponses possibles. Et au final les sages du talmud qui semblent retenir certaines hypothèses plutôt que d’autres, définissent ce que pourrait être la ou les meilleures réponses tout en laissant au lecteur approfondir chacun des chemins .
Et il y a quelques semaines à la lecture d’un magazine , Tenoua qui s’interroge sur les méthodes d’éducation, un sentiment me vient : « Est ce qu’au fond la gestion de projet et le management d’entreprise répond au même problématiques que l’apprentissage scolaire ? »
Éduqué à l’école de la République, aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai le souvenir d’un apprentissage en majorité basé sur une méthode immuable laissant peu de place au libre arbitre autant dans les matières scientifiques que littéraire. Les sciences d’un côté régies par des codes, des lois, des théorèmes et des algorithmes, la littérature, la géographie, l’histoire de l’autre présentant des faits et une analyse souvent quasi dogmatique . Et, de ci delà des étincelles, des professeurs qui laissent votre créativité s’exprimer , votre liberté aller a l’encontre de ce que l’on vous a enseigné et de proposer peut être de nouveaux axes de réflexion.
A l’âge adulte j’ai compris que ce que l’on m’avait appris comme probablement une vérité que l’on ne remet pas en cause reposait sur des programmes scolaires rigides et parfois même des orientations politiques et stratégiques liés au pays dans lequel je vivais.
En regardant aujourd’hui mes enfants et leur apprentissage scolaire je retrouve les mêmes textes , les mêmes thèmes , je lis avec amusement les morceaux des Beatles que l’on étudie en cours de musique et ce 30 ans plus tard …
Mais dans ce numéro de Tenoua plusieurs passages m’ont interpellés :
1️⃣ Celui de Delphine Horvilleur qui se souvient de la rigidité de son entrée a l’école et de la peur dont elle a souffert, dans les shtetel d’Europe de l’Est. Là où l’on demandait a l’enfant de tracer le contour des lettres avec du miel et de les lécher par la suite ou encore même l’enseignement universitaire israélien qui pousse les élèves à contredire ses professeurs et leur exposer leurs raisonnements.
2️⃣ Celui aussi de Gabriel Abensour qui nous présente, dans l’étude d’un verset de la Michna, trois couches de rédaction sur l’enseignement au sens du Talmud et conclue brillamment :
« C’est à travers les discussions enfantines que le monde se maintient […] Ces discussions innocentes qui ne laissent pas indifférents les adultes qui les surprennent. »
Mais alors quel rapport avec le monde si terre à terre de l’entreprise ?
Et bien, c’est le sentiment que j’ai aujourd’hui, après une carrière qui m’a permis de connaître et comparer le monde des TPE/PME, des startups, et des grands comptes, celui que rien n’aboutit sans pédagogie ouverte .
Depuis des décennies dans les entreprises, les managers accueillent les nouveaux arrivant (tels des professeurs à leurs élèves) en leur expliquant tour à tour :
- Qu’il y a des règles à respecter et que pour la majorité elles sont immuables et que les remettre en cause n’est pas corporate
- Que l’ancienneté et l’apprentissage du pouvoir régit la progression dans l’entreprise
- Que l’on adore les profils atypiques, les esprits d’entreprenariat à cause de l’énergie qu’elles amène (mais pas plus que ça).
Et ce que l’on ne dit pas mais ce que j’ai vite ressenti :
- Les décisions sont parfois prises par bon sens mais souvent dans un objectif de pouvoir (au sens large)
- Les entreprises sont agiles mais la structuration pyramidale hiérarchique est présente dans 95% des cas
- Un échec n’est pas un apprentissage
Pour ne pas paraître à charge systématique contre l’organisation de l’entreprise, ce qui serait mal me comprendre, concevez aussi que pour qu’un « manager » prenne de bonnes décisions, il doit avoir une bonne vision de la situation, et très souvent malheureusement, il n’en dispose pas. Il n’a pas accès aux bons indicateurs, par exemple, ou il n’est pas conseillé par les bons collaborateurs … Je referme la parenthèse .
En résumé, cela ne fonctionne pas. C’est ce que je constate aujourd’hui face à un paramètre qui prend, années après années, une place prépondérante dans l’entreprise : l’innovation
Cette innovation apporte dans la foulée une multitude de problématiques auxquelles les entreprises n’arrivent plus à faire face. Et qui se résument de mon point de vue en un seul concept : la capacité de l’entreprise à se transformer .
On a essayé d’imposer des méthodes, de créer des standards, d’employer des entreprises de conseils avec des bardées de consultants complètement extérieurs aux entreprises , qui ne connaissent même parfois rien au métier de leur client. Ça ne marche pas, l’entreprise doit se transformer de l’intérieur en restant totalement ouverte à l’autocritique et aux expériences de ses concurrents, que j’appellerais plutôt partenaires
Parce ce que l’on a pas compris , que tout repose sur l’humain et que pour le coup depuis la nuit des temps l’âme humaine, ses sentiments intérieurs, ses aspirations ont peu ou pas changés.
Cela me conduit à la vision suivante d’un management basé sur l’envie d’apprendre de l’autre, qu’il soit dans l’entreprise depuis 10 ans ou nouvellement arrivé, de lui laisser une réelle chance de tester ses idées mais aussi sur l’envie d’apprendre à l’autre et au final de co-construire des solutions. Et ce, pour servir à nouveau des humains, mais pas ceux qui nous dirigent (si cela est encore intelligible même si il me parait complément fou) mais ceux pour qui l’entreprise travaille : ses clients, ses collaborateurs et ses fournisseurs.
En miroir, la gestion de projet répond au même défi . Nous avons passé des décennies à encourager la spécialité, à séparer le métier de la technique et considérer que la technique est une affaire d’experts surdiplômés (surcertifiés disons nous aujourd’hui). Toutefois, on a oublié les éléments majeurs de réussite de la gestion de projet :
- la simplicité
- la bienveillance
- la bonne humeur
- le respect
- la créativité
- la communication
- la transparence
- ….
Et tout cela, je peux vous le dire, nous ne l’apprenons ni à l’école, ni dans les entreprises, nous l’apprenons sur notre chemin de vie (parfois douloureusement) au travers des expériences , des rencontres. Mathieu Stefani, dont je recommande le podcast « génération do it yourself » a cette maxime que j’aime beaucoup : « nous sommes la moyenne des personnes que nous fréquentons . »
Tout cela je le vois désormais avec lucidité, et je me souviens de cet enseignement des pirké avot , traité de la Micha : « fais toi un Rav, achète-toi un ami et juge chaque individu favorablement ».
Je vous laisse réfléchir à la puissance de ces quelques mots.
📣 En conclusion
Il me semble que la gestion de projet et le management, malgré des milliers de livres et concepts écrits sur le sujet, doit se réinventer, tout cela au travers de la conjoncture exceptionnelle (bien que malheureuse) que nous vivons aujourd’hui au travers, par exemple des crises sanitaires et climatiques.
C’est ce que j’essaye de faire à mon niveau chez Euler Hermès, où je ressens aujourd’hui un certain écho qui me donne de l’espoir, mais aussi dans les startups que j’accompagne et dans la société de conseil en transformation dont je conçois aujourd’hui les contours…
Après vous avoir exposé ces concepts , je vous invite à réagir, critiquer, opposer… Bref à donner vie à cet article par les réactions qu’elles génèreront.
Glossaire :
Talmud :
Le Talmud (hébreu : תַּלְמוּד talmoud : « étude ») est l’un des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique et la base de sa Halakha (« loi religieuse »).
Le Talmud existe en deux versions qui se complètent. La première a été compilée au iie siècle dans les académies talmudiques de la terre d’Israël, notamment en Galilée et appelée Talmud de Jérusalem en souvenir de la ville (alors fermée aux Juifs par les Romains) ; cette première version couvre l’ensemble des traités de la Mishna mais est plutôt concise, et des parties en ont été perdues. La seconde version a été compilée au vie siècle dans les académies de la diaspora du Moyen Orient, d’où son nom de Talmud de Babylone en souvenir de l’exil à Babylone
Michna :
La Michna (hébreu : משנה, « répétition ») est le premier recueil de la loi juive orale et par conséquent de la littérature rabbinique. Compilée vers le début du iiie siècle de l’ère chrétienne par Juda Hanassi, elle est, hormis quelques versets araméens, écrite dans un hébreu qui lui est propre, et recense les opinions, polémiques et éventuelles résolutions légales des Tannaïm (« Répétiteurs ») sur les prescriptions de la Torah
Pirke Avot :
Le traité Avot (hébreu : אבות « pères » ou « principes ») est le neuvième et avant-dernier de l’ordre Nezikin dans la Mishna. Seul traité à ne pas aborder des points de Loi juive, il comprend cinq chapitres d’apophtegmes et de réflexions à caractère majoritairement éthique, occupant dans la littérature rabbinique la même place que le Livre des Proverbes dans la Bible.
Shtetel :
Un shtetl (ou schtetl, ou stetl, du yiddish שטעטל chtetl/schtetl, au pluriel שטעטלעך, chtetlekh/schtetlech, allemand dialectal : Städtel/Städtl/Städtle/Städtli, « petite ville », allemand standard : Städtchen/Städtlein, « petite ville »), est une petite ville, un grand « village » (proprement dorf en yiddish comme en allemand) ou un quartier juif en Europe de l’Est avant la Seconde Guerre mondiale.